ÉTÉS CANICULAIRES, GRANDES SÉCHERESSES
à travers les siècles
(D'après « Des changements dans le
climat
de la France », paru en 1845)
Quel est le degré de
température de nos grands étés ? Ici revient l'insurmontable
difficulté de fixer au juste, avant l'usage du thermomètre,
l'intensité du froid ou de la chaleur. Un artifice fondé sur
les rapports reconnus entre certains phénomènes naturels et
les mouvements du thermomètre fournit les mesures
approximatives de nos grandes chaleurs et de nos grands
froids.
De Humboldt a posé en principe
que la végétation des arbres exige au moins une température
moyenne égale à 11°. Le chiffre de cette température répond
encore au point où la chaleur de l'air commence à devenir
sensible.
Ce degré assez fixe peut être pris pour le premier terme
d'une échelle de nos grandes chaleurs. Messier a quant à lui
constaté que le maximum de la chaleur à Paris, le 8 juillet
1793, a marqué 40°.
C'est à peu près la plus haute température,
excepté celle de l'été 1705 à Montpellier, observée en France,
le thermomètre au nord, isolé, à l'ombre, à l'abri des
réverbérations et à l'air libre.
DATES DE NOS GRANDS ÉTÉS
ET GRANDES SÉCHERESSES |
VIe siècle :
580, 582, 584, 585, 586, 587, 589, 591
VIIe siècle :
675, 700
VIIIe siècle :
783
IXe siècle :
874, 892
Xe siècle :
921, 987, 994
XIe siècle :
1078, 1094
XIIe siècle :
1137, 1183, 1188
XIIIe siècle :
1204, 1212, 1226, 1287
XIVe siècle :
1305, 1306, 1325, 1331, 1334, 1361, 1384, 1392
XVe siècle :
1473
XVIe siècle :
1540, 1553
XVIIe siècle :
1632, 1674, 1684, 1694
XVIIIe
siècle : 1701, 1712, 1718, 1719, 1726,
1727, 1767, 1778, 1793
XIXe siècle :
1803, 1811, 1817, 1825, 1842, 1858, 1875, 1893
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Les graduations intermédiaires
peuvent se déduire des rapports de la température avec les
mouvements de la végétation. Par exemple, les fruits à
noyau fleurissent ordinairement au milieu du mois de mars,
sous une chaleur extrême de 17°. La floraison des vignes
et la maturité des premiers fruits se rencontrent, vers le
même temps, du 15 au 30 juin : le maximum moyen de la
température indique alors 32°. Les récoltes d'été, depuis
celle du seigle jusqu'à celle du vin, ont lieu, année
commune, entre le 20 du mois de juin et le 20 du mois de
septembre ; or, la température extrême des mois de mai,
juin, juillet et août, qui influent le plus sur ces
récoltes, égale moyennement 35° ; enfin, au delà de 35°,
si cet excès de chaleur dure assidûment plusieurs jours ou
se répète trop souvent, les plantes se dessèchent et les
récoltes périssent. Ainsi, on peut estimer, d'après ces
évaluations approximatives, la chaleur thermométrique de
nos anciens étés.
E n 580, les arbres
fleurirent une seconde fois aux mois de septembre ou
d'octobre. Des pluies abondantes et des inondations
terribles avaient précédé cette floraison inaccoutumée ;
et la chaleur, dont elle était la suite, fut accompagnée
de tremblements de terre, d'incendies et de grêles,
spécialement à
Bordeaux, à Arles et à Bourges. Cette seconde
floraison fait supposer au moins une température
printanière prolongée, soit 12° à 14° de chaleur moyenne,
et 24° à 25° de chaleur extrême. |
La chaleur de l'année
582 fit fleurir les arbres au mois de janvier. En 584, on eut
des
roses en janvier : une gelée blanche, un ouragan et la
grêle ravagèrent successivement les moissons et les vignes ;
l'excès de la sécheresse vint consommer ensuite les désastres
de la grêle passée : aussi ne vit-on presque pas de raisins
cette année ; les cultivateurs désespérés livrèrent leurs
vignes à la merci des troupeaux.
Cependant les arbres, qui
avaient déjà porté des fruits au mois de juillet, en
produisirent une nouvelle récolte au mois de septembre, ce
qui implique régulièrement 20° à 24° de chaleur moyenne,
et 32° à 34° au moins de chaleur extrême ; quelques-uns
refleurirent encore au mois de décembre, et les vignes
offrirent à la même époque des grappes bien formées,
augurant 12° à 14° de chaleur moyenne, et 24° à 25° de
chaleur extrême. Les arbres refleurirent au mois de
juillet 585 ; ils refleurirent encore au mois de septembre
586, et un grand nombre de ces derniers, qui avaient déjà
porté des fruits, en produisirent une seconde fois
jusqu'aux fêtes de Noël. Au mois d'octobre 587, après la
vendange, les vignes présentèrent de nouveaux jets avec
des raisins bien formés. |
Vendangeurs au
XIXe siècle |
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Les arbres refleurirent
pendant l'automne de 589, et ils donnèrent ensuite d'autres
fruits : on eut aussi des roses au mois de novembre. La
sécheresse excessive de 591 consuma toutes les prairies. Celle
du long été de 874 fit manquer les foins et les blés. Les mois
d'avril et de mai 892 furent en proie à une extrême
sécheresse. L'année 921 se fit remarquer par de nombreux
orages. Des chaleurs intenses et une sécheresse extrême
régnèrent depuis, presque sans interruption, pendant les mois
de juillet, août et septembre.
L'extrême chaleur de l'été de 987 réduisit de
beaucoup les récoltes.
En 994, la disette des pluies tarit les fleuves,
fit périr les poissons dans la plupart des étangs, dessécha
beaucoup d'arbres, brûla les prairies et les moissons.
L 'été de 1078 fut encore très
sec : la vendange s'avança d'un mois ; c'est un signe de
chaleurs précoces et d'une intensité moyenne de 24° à 25° au
moins, et d'une intensité extrême de 35° au moins. Le vin fut
abondant et fort bon. En 1094 la sécheresse fut
extraordinaire.
Celle de 1137 se déclara au mois de mars et
persévéra jusqu'au mois de septembre, tarissant aussi les
puits, les fontaines et les fleuves. Une sécheresse
insolite accompagna la grande chaleur de 1183 ; elle sécha
dans plusieurs endroits les rivières, les fontaines et les
puits. Les mêmes phénomènes trahissent la sécheresse de 1188 :
un grand nombre d'incendies se déclarèrent à Tours, à
Chartres, à Beauvais, à Auxerre, à Troyes, etc.
Il ne plut pas ou presque pas
pendant les mois de février, mars et avril 1204 : de fortes
chaleurs succédèrent à ces trois mois de sécheresse. L'année
1212 fut très sèche. L'extrême sécheresse de l'année 1226
entraîna la ruine de presque toutes les récoltes d'été :
l'automne de cette année se montra encore chaud et sec ;
enfin, un hiver sec, très froid prolongea la sécheresse
jusqu'au mois de février suivant. Cette chaleur sèche continue
produisit dans toute la France une quantité prodigieuse de
vin. Il ne plut pas pendant tout l'été 1287 ; les puits et les
fontaines tarirent.
Fontaine de
l'avenue de l'Observatoire
au XIXe siècle à Paris, par Carpeaux.
Dessin de Sellier. |
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E n 1305, il y eut une grande
sécheresse en été ; la sécheresse fut aussi excessive en
1306 au printemps et en été. La sécheresse fut si grande
en 1325, qu'on eut à peine la
valeur de deux jours de pluie dans le
cours de quatre lunaisons : il y eut cette année-là
une chaleur excessive mais sans éclairs, tonnerres ni
tempêtes, peu de fruits, seulement les vins furent
meilleurs que de coutume. En 1331, aux longues pluies qui
avaient duré depuis le commencement du mois de novembre de
l'année précédente jusqu'au commencement de cette année,
succéda une si grande sécheresse qu'on ne put labourer la
terre à cause de sa dureté. L'hiver suivant fut pluvieux
et très peu froid ; il n'y eut presque pas de gelées.
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La sécheresse de l'été 1334
fut suivie d'un hiver très humide ; il y eut beaucoup de vins,
mais moins chauds que l'année précédente. Les sources tarirent
pendant l'été de 1384 par le manque de pluies et la sécheresse
insupportable qui régna dans toute la France. La sécheresse
opiniâtre de l'été 1392 tarit les sources et empêcha les plus
grands fleuves de la France d'être navigables.
L'été de 1473 fut très chaud : la chaleur se
prolongea depuis le mois de juin jusqu'au 1er décembre ;
il n'y eut ni froid, ni gelées avant la Chandeleur.
Labruyère-Champier et Fernel ont signalé les grandes chaleurs
générales de l'été de 1540. En 1553, la chaleur brûlait tout
au mois de juin.
La sécheresse de 1632 dura
depuis le 12 juillet jusqu'au 15 septembre. Nous mesurons plus
sûrement, grâce aux observations thermométriques, les degrés
de chaleur des grands étés suivants.
L'année 1684, classée par J.-D. Cassini au nombre des
plus chaudes, dans un tableau des grandes chaleurs de Paris,
qui comprend quatre-vingt-deux ans, a présenté, seulement sous
ce climat, soixante-huit jours d'une température de 25°, entre
midi et trois heures ; seize jours d'une température de 31°,
et trois jours d'une température de 35°.
Ainsi le thermomètre s'éleva trois fois, de midi à
trois heures, le 10 juillet, le 4 et le 8 août, à 35° au
moins.
Les observations udométriques commencées en France par
Lahire, en 1689, ne fournissent pas moins d'exemples de ces
grandes sécheresses. Les plus considérables depuis cette
époque appartiennent aux années 1694, 1719, 1767, 1778, 1793,
1803, 1817, 1825, 1842, 1858, 1875, 1893. A Paris, le
thermomètre marqua 40° à trois heures et demie le 17 août
1701.
Les deux années de 1718 et
1719 eurent l'une et l'autre des chaleurs sèches, violentes,
longues et soutenues. A Paris, le 7 août 1718, le thermomètre
de Lahire, malgré son exposition défavorable, indiqua
néanmoins vers trois heures de l'après-midi 35° ou 36° : il
s'éleva aux mêmes chiffres le 11, le 21 et le 23. Un hiver
très doux succéda à ces chaleurs. La plupart des arbres se
couvrirent de fleurs dès le mois de février et de mars 1719.
Les fortes chaleurs reparurent
avec le mois de juin. Plus intenses que celles de l'année
précédente, elles durèrent aussi beaucoup plus longtemps. A
Paris, le thermomètre de Lahire indiqua au maximum une
température de 37° ; en outre, la table de Cassini attribue à
cet été quarante-deux jours d'une température de 31° ; enfin,
les chaleurs ont persévéré trois mois et demi, depuis le mois
de juin jusqu'à la moitié du mois de septembre. L'extrême
abaissement des eaux de la Seine au pont de la Tournelle,
durant cette année si sèche, donna le zéro des mesures pour
les hauteurs variables de ce fleuve. Le père Feuillée, cité
par Maraldi, écrivait en même temps de Marseille que des
chaleurs insolites y avaient fait refleurir les arbres au mois
d'octobre, et qu'ils s'étaient plus tard chargés de nouveaux
fruits. Les froids survenus au mois de décembre empêchèrent
ces fruits de grossir comme à l'ordinaire, mais ils ne les
empêchèrent pas d'aboutir à une parfaite maturité. Le père
Feuillée ajoute qu'il a cueilli, le 18 décembre, des cerises
et des pommes complètement mûres.
L'été de 1726 débuta vers la fin
du mois de mai, continua ensuite durant les mois de juin,
de juillet et d'août. Cassini y a compté à Paris
soixante-deux jours d'une température de 25°, et dix jours
d'une température de 31°, sa plus grande chaleur, observée
le 27 et le 28 août, ayant égalé environ 34°. Les fruits
mûrirent un mois plus tôt qu'à l'ordinaire. Le maximum de
la chaleur fut beaucoup plus précoce en Provence. A Toulon
et à Aix, il eut lieu le 13 et 14 juillet. C'est en 1726
que Delande vit à Brest son baromètre parfaitement
immobile depuis le 2 février jusqu'au 1er septembre.
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Vignoble de
Meursault au XVIIIe siècle, près
de Beaune. Dessin de J.-B. Lallemand. |
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Les chaleurs de l'année 1727
ont duré bien davantage. Après un hiver modéré, le thermomètre
commença à monter le 7 février. Le 10 mai suivant, il marquait
déjà, au lever du soleil, 18°, et à deux heures le soir près
de 27°. Les chaleurs se soutinrent en augmentant pendant les
mois de juillet et d'août. Le 7 de ce dernier mois, à trois
heures de l'après-midi, elles atteignirent le maximum de 35° ;
depuis, la température ne cessa d'être élevée le reste du mois
d'août et dans le cours du mois de septembre.
L'été de 1778 eut aussi des
chaleurs fortes, longues et constantes. Sous leur influence,
plusieurs arbres fruitiers fleurirent une seconde fois ; deux
ceps de vigne en espalier contre le mur de l'ancien corps de
garde du quai Malaquais, à Paris, offrirent même le
10 octobre, après avoir refleuri, des grappes assez grosses.
Mourgue et Lamanon ont signalé les mêmes chaleurs, l'un à
Montpellier et l'autre à Salon. Ces chaleurs insolites
régnèrent principalement dans les mois de juillet et d'août ;
elles furent sèches et sans nuages : ce grand été se fit
d'ailleurs remarquer par la fréquence des inondations, des
orages, des ouragans et des tremblements de terre.
Les chaleurs de l'été 1793
éclatèrent brusquement. Les mois de mai et de juin avaient été
très froids ; il avait gelé à glace durant ces deux mois, il
était tombé beaucoup de neige sur les Alpes et d'autres
montagnes ; enfin, on avait vu dans la basse Autriche des
chariots chargés traverser une rivière à la fin du mois de
juin. Les grandes chaleurs commencèrent à paris le 1er juillet ;
à Montmorency, après le 4. Elles augmentèrent si rapidement,
que la journée du 8 figure déjà parmi les époques de leur
maximum. Pendant tout le mois, le thermomètre se balança, au
milieu du jour, entre 40° et 25° à 26°, en indiquant douze
fois 24° à 34°, et dix fois 34° à 40° ; son élévation ne fut
guère moindre les dix-sept premiers jours du mois d'août. Le
maximum de la chaleur a donné 38°4 le 8 juillet à
l'Observatoire royal de paris, et 40° le 16 du même mois à
l'Observatoire de la marine. Durant ces grandes chaleurs, le
vent resta fixé au nord, le ciel fut presque toujours beau,
clair et sans nuages.
Ces grandes chaleurs ont été
très sèches, quoique entrecoupées de violents orages, lourdes
et accablantes ; elles différèrent peu du jour à la nuit et du
matin au soir. Les objets exposés au soleil s'échauffaient à
un tel degré qu'ils étaient brûlants au toucher. Des hommes et
des animaux moururent asphyxiés, les légumes et les fruits
furent grillés ou dévorés par les chenilles. Les meubles et
les boiseries craquaient, les portes et les fenêtres se
déjetaient ; la viande, fraîchement tuée, ne tardait pas à se
gâter. Une transpiration incessante macérait la peau, et le
corps nageait continuellement dans un bain de sueur fort
incommode. C'est surtout le 7 juillet qu'on a pu constater de
semblables effets. Le vent du nord vint apporter ce jour-là
une chaleur si extraordinaire, qu'il paraissait s'exhaler d'un
brasier enflammé ou de la bouche d'un four à chaux. Cette
chaleur était étouffante, régnait par un ciel très clair,
arrivait par bouffées intermittentes, et produisait à l'ombre
une impression ausi brûlante que celle des rayons du soleil le
plus ardent.
En 1803, il plut très peu du
4 juin au 1er octobre. La pluie augmenta vers le
commencement d'octobre ; après quoi, la sécheresse reprit et
se soutint de nouveau jusqu'au 9 novembre. Cette sécheresse
continua donc quatre mois de suite et plus de cinq mois en
tout, sauf la courte interruption des premiers jours
d'octobre. Les puits et les fontaines tarirent. A Paris, le
petit bras de la Seine resta presque à sec, et le niveau du
fleuve indiqua, le 21 et le 27 novembre, 24 centimètres
au-dessous de zéro. Dans quelques départements, l'eau manquait
absolument ; on allait en chercher à trois ou quatre lieues,
et il en coûtait trente sous pour abreuver un cheval.
La récolte des
pommes au XIXe siècle, en Normandie |
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En 1811, les chaleurs furent
partout précoces, intenses et prolongées. Les moyennes
mensuelles de la température de Paris dépassent, cette
année, de plusieurs degrés, les mois de janvier et d'août
exceptés, les moyennes mensuelles déduites de vingt-et-un
ans. Cet excès de chaleur éclata tout d'un coup dès le
mois de février ; elle se soutint presque sans
interruption, ou plutôt en augmentant de mois en mois,
pendant les mois de mars, d'avril et de mai, avant de
marquer une pause. |
A Nancy, la chaleur commença
le 15 mars, et persista avec opiniâtreté jusqu'au 6 août.
Cette chaleur sèche tarit de bonne heure un grand nombre de
ruisseaux que personne n'avait jamais vus à sec, compromit les
prés et les semailles printanières, avança toutes les récoltes
et rendit fort abondante celle des grains et des raisins. La
vigne fleurit le 24 mai, au lieu de fleurir vers le 24 juin.
La moisson eut lieu du 10 au 20 juillet, et la vendange dès le
8 septembre. Dans le Midi, les vents du sud, vents chauds,
humides et étouffants, se prolongèrent en Provence jusqu'à la
fin de l'année. Au midi comme au nord, la chaleur et la
sécheresse de 1811 épuisèrent la plupart des sources,
desséchèrent les torrents et les fleuves, précipitèrent la
maturité des fruits, consumèrent les plantes fourrageuses, et
favorisèrent, en général, les récoltes de vin.
L'été de 1842 mérite aussi de
compter parmi nos grands étés, sa chaleur étant plus intense
dans le nord que dans le Midi. A Paris, elle commença dès le
5 juin, et se prolongea à travers de rares intermittences
jusqu'au mois de septembre. Le caractère de cette chaleur, en
générale orageuse et sèche, la rendait encore plus sensible.
Beaucoup de marronniers de nos jardins publics, qui avaient
perdu leurs feuilles au mois de juillet, refleurirent à la fin
du mois d'août.
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http://www.france-pittoresque.com/anecdotes/92b.htm
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