RÉCHAUFFEMENT OU
REFROIDISSEMENT DE LA TERRE ?
(D'après l'« Annuaire
des longitudes » paru en 1834)
En 1834, le célèbre Arago écrivait dans l'Annuaire
des longitudes : « Si vous soutenez et voulez prouver à l'aide de
texte pris dans les écrits d'anciens auteurs que le climat de l'Europe était
plus froid autrefois qu'aujourd'hui, on vous objectera que si les fleuves
d'Italie, des Gaules, gelaient autrefois, ces mêmes fleuves, des mers mêmes,
telles que le golfe de Venise, la Méditerranée ont gelé dans des temps très
rapprochés de nos jours.
« En 860, le golfe
Adriatique et le Rhône se gèlent par un froid de moins dix-huit à moins
vingt degrés centigrades. En 1133, le Pô gela
depuis Crémone jusqu'à la mer. Le vin se gela dans les caves par une
température de moins dix-huit degrés. En 1234, des
voitures chargées traversent la mer Adriatique sur la glace, en face de
Venise. En 1305, toutes les rivières de France
gèlent. En 1323, les voyageurs à pied et à cheval
allaient sur la glace du Danemark à Lubeck et à Dantzig.
En 1334, tous les fleuves d'Italie et de Provence se gèlent.
En 1434, la gelée commença à Paris le dernier jour
de décembre 1433, et continua pendant trois mois moins neuf jours. Elle
recommença vers la fin de mars, et dura jusqu'au 17 avril. Cette même année
il gela en Hollande pendant quarante jours de suite. En
1468 , en Flandres, on
coupe avec la hache la ration de vie des soldats.

« En 1544, en France,
on coupe le vin dans les tonneaux avec des instruments tranchants.
En 1594 la mer se gèle à Marseille et à Venise.
En 1657-1658, gelée non interrompue à Paris
depuis le 24 décembre 1657 jusqu'au 8 février 1658. La Seine fut
entièrement prise ; le froid dura jusqu'au 18 février. C'est en 1658 que
Charles X, roi de Suède, traversa le petit Bell (détroit) sur la glace
avec toute son armée, son artillerie, ses caissons, ses bagages, etc.
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Personnes sur
la Seine gelée en février 1896 |
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« En 1777, la Seine fut
prise pendant trente-cinq jours consécutifs. En 1709,
l'Adriatique, la Méditerranée à Marseille, à Gênes, sont gelées.
En 1716, on établit à Londres, sur les glaces de la
Tamise, un grand nombre de boutiques. Enfin la Seine est gelée dans toute sa
largeur en 1742, 1744, 1746, 1767, 1776, 1788, 1829.
« Je doute que personne, après avoir pris
connaissance de la table qui précède, puisse trouver, dans les phénomènes de
la congélation des rivières cités par les anciens, la preuve que le climat
de l'Europe se soit détérioré. Je remarque d'abord que la congélation
exceptionnelle d'une rivière ne saurait caractériser un climat ; que
diverses circonstances atmosphériques peuvent accidentellement faire
descendre, sur un point donné du globe, des couches très froides et très
sèches situées dans les hautes régions ; que le froid naturel de ces
couches, que le froid résultant, de l'abondante évaporation à laquelle leur
sécheresse donnerait naissance, ajoutés à celui qui proviendrait la nuit du
rayonnement, si l'atmosphère était parfaitement sereine, paraissent
suffisants pour occasionner la congélation des rivières dans toutes les
régions du globe.
« Aussi a-t-on appris, il y a peu d'années, sinon
sans surprise, du moins sans regarder le phénomène comme entièrement
inexplicable, qu'en Afrique l'eau des outres du capitaine Clapperton s'était
gelée une nuit, non loin de Mourzouk et dans une plaine peu élevée au dessus
du niveau de la mer : aussi les météorologistes n'ont-ils pas
rangé parmi les assertions indignes d'examen, ce
que rapporte l'auteur arabe Abd-Allatif, qu'en 829, lorsque le patriarche
jacobite d'Antioche, Denis de Telmahre, alla avec le calife Mamoun en
Egypte, ils trouvèrent le Nil gelé.
« Strabon, liv. IV
présente la ligne des Cévennes dans la Gaule narbonnaise, comme la limite
septentrionale où le froid arrête les oliviers. Cette limite est aujourd'hui
à la même place. Les grecs apportèrent le dattier de Perse dans leur patrie.
Suivant Téophraste, il n'y donna point de fruit. Le célèbre botaniste ajoute
cependant qu'à l'île de Chypre la datte, sans mûrir complètement, était
mangeable. La petite quantité de chaleur dont ce fruit aurait
aujourd'hui besoin, pour arriver dans la même île à une parfaite maturité,
manquait donc aussi dans l'antiquité.
« Des documents agronomiques paraissent établir
que, dans certaines régions de la France, les étés sont aujourd'hui moins
chauds qu'ils ne l'étaient anciennement : on trouve dans les papiers
conservés par plusieurs familles du Vivarais (Ardèche),
datant du seizième siècle, qu'à cette époque il y avait un grand nombre de
rentes foncières en vin ; que le plus grand nombre de ces rentes devaient
être payées en vin du premier trait de la cuve. Il était stipulé, pour
d'autres, qu'elles seraient prises dans les tonneaux, au choix du seigneur.
Le terme de ce paiement était fixé au 8 octobre. Les actes en question
prouvent donc que, le 8 octobre, le vin était dans les tonneaux, ou du moins
dans la cuve, au point d'être tiré ; or, le minimum du temps qu'on laisse le
vin dans la cuve avant de le tirer, c'est huit jours : au seizième siècle la
vendange devait donc être finie en Vivarais dans les derniers jours de
septembre : maintenant c'est du 8 au 29 octobre qu'on la fait.
« On lit dans l'histoire de Mâcon, qu'en 1553, les
Huguenots se retirèrent à Lancré (village situé tout près de cette ville),
et qu'ils y burent le vin muscat du pays. Le raisin muscat ne mûrit pas
assez maintenant dans le Mâconnais pour qu'on puisse en faire du vin.
L'empereur Julien, résidant à Paris, faisait servir sur sa table du vin de
Surène. Dieu sait la réputation dont jouit aujourd'hui le vin de ce cru.
« Il existe sous les bâtiments dé l'observatoire
de Paris, des souterrains de quatre-vingt-six pieds de profondeur ; la
température de ces lieux doit être constante, puisque la chaleur du soleil
n'y pénètre jamais. Depuis un siècle et demi on y observe la marche du
thermomètre : le résultat de ces observations est que la température des
souterrains de l'observatoire était il y a cinquante ans ce qu'elle est
aujourd'hui. »
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