André Tehernia • Directeur d'études à l'École
des hautes études en sciences sociales
archéologue
et le viticulteur
Comment on a retrouvée le goût du vin romain
Souci du millésime et des appellations
d'origine, classement des vignobles, technique de dégustation
des vins ; l'oenologie existait déjà à Rome Et les crus
italiens participaient à un art de vivre raffiné. Une
expérience exceptionnelle permet aujourd'hui de reconstituer
la saveur et le goût du vin des premiers siècles.
«on prit l'habitude de
servir des repas fastueux, accompagnés de parfums aux senteurs
merveilleuses et pour lesquels on préparait des lits couverts
des coussins multi colores les plus coûteux et faits avec un
art consommé d'ivoire, d'argent et d'autres matières
précieuses.
Des vins, ceux qui n'étaient qu'agréables
étaient méprisés ; on faisait sans retenue ses délices du
falerme, du chio, et de leurs rivaux, ainsi que
des meilleurs poissons et d'autres raffinements de la table.
« Comme on recherchait tout ce qui pro curait
du plaisir ou servait de ruineuses habitudes les prix de ces
biens jusqu'à des excès incroyables. L'amphore de vin se
vendait cent drachmes
. » C'est ainsi que le Grec Diodore.,de Sicile
témoigne l'irruption du luxe à Rome, luxe qui s'accompagne
d’un goût nouveau pour les grands vins.
La
rigueur de sa vertu, on l'est pour la douceur des plaisirs
auxquels on consacre sa vie.
Si
évidente que soit la part de l'idéologie passéiste et
moralisatrice qui imprègne ces textes, ils recouvrent une
vérité historique indubitable : un afflux d'argent inouï vers
la ville de Rome et le centre de l'Italie, principalement à la
suite des guerres en Asie et en Grèce, des victoires en Syrie
et de la conquête de la Macédoine en 168 av. J.‑C. Cet
enrichissement soudain a favorisé l'épanouissement d'un mode
de vie dont le faste peut encore nous étonner. Le vin y avait
évidemment sa part.
Quelques décennies auparavant, sa consommation s'était
généralisée à Rome. C'est en effet le moment où, à la place
d'une bouillie de céréales (la puls), le pain devint la base
de la nourriture du peuple romain , le pain déclenche une soif
alimentaire, différente de la soif physiologique, que le vin
(toujours coupé d'eau dans l'Antiquité et presque partout
jusqu'au XIXe siècle) satisfait plus agréablement que l'eau
pure. A la différence du symposion grec, rite
qui prenait place après un repas sans vin et permettait aux
convives de boire ensemble, la cena romaine (repas du
soir) était accompagnée de vin. C'est à cette époque que s'est
créée une alimentation fondée sur le pain et le vin qui va
caractériser jusqu'au XIX e, siècle la Méditerranée
occidentale latine et chrétienne. Comme le dit la formule
inscrite sur une lampe d'Italie du Nord: « Du pain, du vin,
des légumes, dîner du pauvre. »
ON ÉVITERA DE CHOISIR UNE
NOURRICE QUI S'ENIVRE
Désormais produit de consommation courante pour les hommes, le
vin le devint aussi, un peu plus tard, pour les femmes. Dans
la Rome archaïque (entre le VIII e et le III e siècle avant
notre ère), celles‑ci n'avaient pas le droit de boire de
temetum, vin simple et classique issu de la fermentation
de raisins naturels non séchés au soleil et sans adjonction
d'eau de mer. C'est que ce liquide était celui des libations,
geste religieux réservé aux hommes. Tous les membres masculins
de la famille, jusqu'aux fils des cousins du mari, pouvaient
embrasser la matrone sur la bouche pour vérifier qu'elle avait
bien respecté l'interdiction. Les pires châtiments (mise à
l'amende de la dot, répudiation...) lui étaient réservés en
cas d'infraction.
Cet
interdit paraît tomber en désuétude dans la première moitié du
IIe siècle avant notre ère. A la fin de la République et sous
l'Empire, les femmes buvaient quotidiennement.
Soranos
d'Éphèse, un médecin grec installé à Rome au ne siècle de
notre ère, recommandait d'éviter de choisir une nourrice qui
s'enivre, car <<• l'ivresse corrompt l'esprit et le corps de
la nourrice et, par suite, détériore aussi son lait
».
Cependant, dès que l'enfant a un mois et demi, elle peut
commencer à prendre du vin, d'abord un peu de vin miellé, puis
du blanc léger et clair, sec sans l'être trop, et d'âge moyen
« Elle
en boira une fois de temps en temps, puis tous les trois
jours, tous les deux jours,enfin quotidiennement et non pas
une seule fois mais deux; elle finira par boire à sa soif. »
Même saint Jérôme, qui voudrait que les femmes se passent de
vin « in quo est luxuria » (« où réside la luxure
»), conseille à son amie Laeta d'en donner un peu à sa fille,
pour le bien de son estomac, et parce qu'une abstinence totale
serait dangereuse pour sa santé
Vin
d'une élite ou vin du peuple, le même terme désigne les
boissons les plus différentes les unes des autres, l'unité du
produit ne reposant que sur son origine, le raisin, et sur la
part d'alcool qu'il contient. Les hasards de la botanique
(cépages*), de la géologie ou du climat sont bien loin d'être
les seuls responsables de cette diversité. Les facilités de
communication, la nature et l'emplacement des marchés,
l'environnement social sont en effet également déterminants
dans l'opération de différenciation qui conduit à la naissance
des crus*. Il n'y a pas de hiérarchie du vin sans une
hiérarchie sociale marquée, pas de vins de qualité sans riches
prêts à payer cher un breuvage dont les pauvres seront privés.
Les
grands crus vinrent d'abord de Grèce, où depuis longtemps on
avait individualisé et classé les vignobles. Pline l'Ancien
(23‑79 ap. J.‑C.) explique que « les vins importés jouirent
longtemps du plus grand prestige, et encore au temps de nos
grands pères, quand le faleme [célèbre vignoble de la
Campanie antique, situé au nord de Naples] avait déjà été
inventé ».
La
renommée des vins italiens s'établit progressivement, et
d'abord avec l'apparition du millésime*. Dans le dernier tiers
du Ie siècle avant notre ère, des inscriptions sur des
amphores* donnant le: nom, des consuls de l'année de la
vendange et. fournissent un joli échantillonna
Le
lieu de découverte indique la géo graphie des exportations du
vin italien à cette époque : 129 av. J.‑C. sur une amphore
trouvée à Rodez, 121 av. J.‑C. sur une autre trouvée à
Fiesole, près de Florence. , 119 av. J.‑C. près de Barcelone,
119 ou 117 près de Carthagène, en Espagne, 115 près de
Toulouse. 108 de nouveau à Rodez, une série un peu plus
tardive ‑ 107, 104, 102 av. J.‑C. dans l'oppidum voisin
d'Agen, etc.
LE
CLASSEMENT DES VINS EST L'OEUVRE DES MÉDECINS
La
meilleure année a été, en 121 av. J.‑C., celle du consul
Opimius. Un millésime dont on parlait encore deux cents ans
plus tard : « En cette 633 année après la fondation de Rome,
nous dit Pline l'Ancien. le soleil détermina une température
splendidement idéale (on appelle cela "cuire à point"). et
l'on garde encore de ces vins qui ont près de deux cents ans;
ils sont désormais réduits en une sorte de miel amer (c'est
l'évolution naturelle des vins avec l'âge), et on ne peut ni
les boire purs, ni les tempérer avec de l'eau. Leur invincible
goût de rancio * a tourné à l'amertume, mais on améliore et on
met en valeur tous les autres vins en les coupant très
légèrement avec eux. »

Seconde
innovation, celle des appellations d'origine*. Le premier à en
bénéficier a été le falerne. La plus ancienne mention
connue se lit sur une amphore qui porte la date consulaire de
102 av. J.‑C. Mais, trente ou quarante ans plus tôt,
l'historien grec Polybe avait déjà parlé d'un vin remarquable,
produit dans la région de Capoue. qui venait de vignes mariées
aux arbres et auquel aucun autre cru ne pouvait être
Asclépiade avait pour patient et ami un des grands
personnages de l'époque, L. Licinius Crassus,
homme politique d'importance, avocat pétri de lettres grecques
et amateur d'art richissime et raffiné ; l'un et l'autre
étaient liés à Sergius Orata, spéculateur
immobilier, gastronome expert en huîtres et figure
emblématique des plaisirs épicuriens.
On
imagine que ces trois amis, qui menaient grande vie, ont
discuté des qualités gustatives qui paraissaient répondre à
leur conception des grands crus.
L’élite
romaine rivalisait alors en invitations à de luxueux banquets.
Au
cours de ces dîners, le jeu des discussions était sur la
hiérarchie des produits de table,et du vin (censura culinarum
et censura vinorum)
Galien, le grand médecin de la fin du IIe siècle de notre
ère, en fournit le meilleur témoignage. Il passe en revue tous
les caractères que l'on doit examiner dans un vin, élaborant
un véritable manuel de dégustation. En voici le début: « Les
vins se différencient premièrement par leur couleur,
deuxièmement par leur saveur, troisièmement on parle
consistance, quatrièmement par leur odeur et cinquièmement
par leur force.
« La
couleur se répartit en blanc, noir, doré, ambré et rouge, avec
d'autres nuances intermédiaires, où se mêlent plusieurs des
précédentes (il en va du reste de même pour la force). Selon
la saveur, les vins se répartissent en doux et astringents,
avec bien évidemment là aussi un moyen terme entre les deux
pôles, qui n'a pas une qualité nette
A
gauche: ces amphores datées d'environ 60 av. J: C. ont été
découvertes en 1978 au fond d'une épave à Giens (Var). A
droite : le pressoir romain reconstitué au mas des Tourelles
(ci. Chéné, Réveillac/CNRS‑CCJ et Foliot/CNRS‑CCJ).
l'oeuvre des médecins.**
L,un
des premiers médecins grecs établis à Rome que nous
connaissions, Asclépiade de Bithynie, mort au début du Ie
siècle av. J.‑C., avait ainsi acquis une réputation
controversée, mais immense pour sa méthode de prescription du
vin. (censura culinarum et censura vinorum) » Son traité » Sur
l'administration du vin a été l'objet d'innombrables
commentaires.
Bien
avant lui, Hipp ocrate (vers 460vers 377 av. J.‑C.) et
d'autres médecins grecs par la suite avaient déjà parlé en
détail des rapports entre le vin et la santé.

Mais
Asclépiade chercha à déterminer le moment,de la maladie où il
fallait le prescrire et le moment où il fallait s'en abstenir
ou boire de l'eau ‑ ce qui lui valut le double sobriquet de «
donneur de vin » et de « donneur d'eau froide ». Il s'est
aussi sans doute préoccupé de savoir quel genre de vin
convenait à telle maladie.
: On
classait les denrées comme le censeur répartissait les
citoyens selon leurs fortunes. Ainsi s'est enraciné dans la
culture romaine un savoir gastronomique ‑ dont nous avons de
nombreux témoignages plus tardifs et élaborée la première
liste des grands crus, qui s'enrichira jusqu'à la fin du I"
siècle de notre ère.

VOCABULAIRE DE LA DÉGUSTATION
La
classification des crus nécessitait la création d'un
vocabulaire propre à la dégustation du vin. On le trouve déjà
bien formé dans les poèmes d'Horace (65‑8 av. J.‑C.) pour qui
le falerne, par exemple, est sec, fort et chaud. Mais c'est un
texte de ces derniers, il y a les vins qui combinent les deux
saveurs, et enfin il y a la saveur qu'on appelle piquante.
Selon la consistance, les vins se répartissent en aqueux et
fluides ou tout à fait épais, avec bien évidemment un moyen
terme entre les deux pôles, et encore une fois tous ceux qui
sont intermédiaires 1 entre la moyenne et les extrêmes. »
L’
Eoenophile romain savait donc parfaitement reconnaître les
crus les uns des autres. II disposait pour cela d'une
technique de dégustation, attestée à plus de six siècles de
distance par les écrivains Térence et Cassiodore, qui
consistait à cracher le vin mis en bouche pour mieux capter
les arômes, et avait le même effet que les petites aspirations
auxquelles se livrent les dégustateurs aujourd'hui. A l'époque
de Sénèque, au 1" siècle ap. J.‑C., les celliers des riches
Romains étaient pleins d'amphores contenant des vins de « tant
de millésimes
et de tant de régions », soigneusement répartis selon leur
goût et leur âge.
On
aimerait savoir à quel genre de vin pouvaient ressembler ces
crus si savamment appréciés. Les textes qui parlent de leurs
caractères, et ce qu'on peut imaginer à partir des méthodes de
vinification, fournissent certes des indications ; mais elles
sont insuffisantes pour reconstituer exactement le goût qu'ils
avaient. C'est pourquoi il est tentant de recourir à
l'archéologie expérimentale, autrement dit de recréer un vin
ancien.
.
Nous passerons brièvement sur les techniques de base, qui sont
des classiques de la vinification antique, et ont souvent été
utilisées par la suite : la chaptalisation* au moût* réduit
(le defrutum*, moût réduit au tiers de son volume par
ébullition lente), le salage* et le plâtrage*. Et l’intérêt du
texte de Columelle tient surtout à ce que l'auteur conseille
d'ajouter des aromates, en faibles quantités, au defrutum
pendant sa cuisson et au moût pendant sa fermentation : dans
le defrutum, quelques coings ainsi qu'une livre pour 90
amphores (0,18 gramme par litre) de rhizome d'iris et autant
de fenugrec, une légumineuse au parfum prenant et tenace, qui
entre dans la composition des currys ; dans le moût, encore un
peu de fenugrec (0,03 gramme par litre) macéré dans du vin,
séché et broyé.
Les raisins utilisés dans l'expérience ne prétendaient pas
venir d'un cépage ancien
Aucun cépage moderne ne peut se vanter d'avoir prouvé une
ascendance grecque ou romaine. Au contraire : ils étaient le
fruit d'un hybride, le villard blanc. Ils présentaient
néanmoins un double avantage: très résistants, ils peuvent
être cultivés pratiquement sans traitement; ils produisent un
vin agréable, léger mais peu aromatique, d'un goût neutre qui
pouvait s'harmoniser avec les plantes dont Columelle préconise
l'adjonction et laisserait bien mesurer leurs effets.
Bacchus, dieu du vin et de l'ivresse, vêtu de grappes de
raisins (>e' siècle, Naples, Musée national; cl. Scala).
Nous avons donc cherché à savoir sil avait existé un élevage
de vin sous voile dans (Antiquité : le but de Columelle était.
peut‑être, d'imiter ces crus. Deux vers d'Ovide (43 av.
J.‑C.‑vers 18 ap. J.‑C.) décrivant un chai* paraissent évoquer
une telle pratique : « Les vins aussi, rassemble avec soin
dans des vastes chais, fleurissent. et des voiles surnagent au
sommet des douas. ..
Il faut toutefois attendre plusieurs années
pour que ce voile communique au vin un goût sensible. Et sa
préservation suppose un contact facile avec l'air. car les
levures consomment de l'oxygène. Or il ne semble pas que cette
condition ait été réalisée après la fermeture des doua. Par
ailleurs, les grands crus n'étaient dégustés qu'après un long
vieillissement (dix ans sont tout juste un âge respectable
pour les bons vins de l'Italie romaine) qui n'avait pas lieu
dans les doua, mais dans des amphores, où le voile ne pouvait
plus se développer. La systématisation à l'époque romaine de
vins élevés sous voile est donc difficilement envisageable.
Une
piste plus satisfaisante s'est ouverte quand, dans une thèse
toute récentes, une jeune oenologue de Bordeaux a démontré que
le sotolon apparaissait aussi dans des vins subissant un long
vieillissement oxydatif*, comme les olorosos de Xérès ou les
vins doux naturels » du Roussillon. Ces vins peuvent mûrir
vingt ans dans des tonneaux pas tout à fait pleins ou dans des
foudres*. Loxydation au contact de l'air leur donne un goût de
rancio, apparenté à celui des vins de voile. Si le climat est
sec, ils perdent par évaporation jusqu'à près de la moitié de
leur volume, tandis que leur degré alcoolique augmente.
Plutarque, au IIe siècle de notre ère, a décrit ce phénomène
dans ses Propos de table: « Le vieillissement concentre le
vin, à mesure que son caractère aqueux est évacué; tandis que
son volume diminue, sa force s'intensifie. » On ne peut être
plus concis ni plus clair.
DE
NOIRS FALERNES À LA TABLE DE MÉCÈNE
Reste une question : les vins anciens vieillissaient dans des
amphores de terre cuite, soigneusement enduites de poix sur
toute leur surface intérieure, bien plus étanches à l'air que
les tonneaux qui filtrent la vapeur d'eau plus que la vapeur
d'alcool. Dans ces conditions, il ne pouvait y avoir ni
oxydation ni évaporation fortes.
Les
amphores n'étaient toutefois pas toutes obturées de la même
façon. Certaines avaient un bouchon de liège bien scellé à la
poix, qui les rendait hermétiques. Cependant, vers le milieu
du il, siècle av. J.‑C., apparut en Italie un système
différent : le liège n'était plus scellé, mais coincé dans une
encoche du col de l'amphore, à la paroi duquel il n'adhérait
pas aussi exactement que le bouchon d'une bouteille moderne à
son goulot. En outre, il était très souvent percé d'un
orifice, généralement triangulaire, à peine grand comme
l'ongle, dont la fonction reste incertaine peut‑être éviter
qu'une reprise de la fermentation, dans des vins qui devaient
très souvent contenir du sucre résiduel, ne brise le bouchon.
Au‑dessus du liège, on coulait un opercule de pouzzolane
(mélange de tuf volcanique et de chaux, dur mais de texture
peu compacte), sur lequel les négociants imprimaient leur nom
ou leur sigle.
A
travers ces bouchons, dans les celliers placés en haut des
maisons, ou dans des amphores laissées en plein air sous le
soleil
Pline
l'Ancien recommande de le faire, pouvait donc se produire un
phénomène d'évaporation, très lent, car la surface d'échange
était faible, mais suffisant pour augmenter, au cours d'un
long vieillissement, le degré alcoolique et diminuer le volume
du vin. Or c'est précisément sur des amphores ainsi fermées
que l'on trouve inscrits les millésimes dont nous avons parlé.
On est donc en mesure de conclure qu'avant même de créer les
premières appellations de leurs crus, les Romains avaient
découvert le goût de rancio, cet arôme si particulier des vins
qui ont subi un long vieillissement oxydatif, et l'avaient
aimé.
A
la table de Mécène, ministre d'Auguste qui encouragea les arts
et les lettres (il, siècle av. J.‑C.), le plus bel esclave,
raconte le poète Martial, de sa main d'une blancheur de
marbre, versait de noirs falernes dans les coupes du
maître de maison. Le falerne, dont la couleur est précisée à
plusieurs reprises par Galien, est pourtant un vin blanc doré.
Ceux de Mécène avaient bruni avec l'âge, comme le font les
olorosos d'Andalousie ou les sauternes séculaires
madérisés.
Leur couleur répondait à leur goût oxydé ; elle était la
garantie de leur long mûrissement et, plus un vin était vieux,
plus il était précieux. Ils finissaient alors par prendre un
goût amer. Mais, ajoute Sénèque, « dans un vin trop vieux
l'amertume elle‑même nous attire ». C'est qu'à Rome comme
ailleurs, l'important était d'avoir l'impression d'offrir et
de boire quelque chose d'exceptionnel.
Les
mots du vin
AMPHORE : récipient à deux anses q servait au transport de
produits comn le poisson salé, l'huile et le vin. On y faisait
vieillir les bons crus.
APPELLATION D'ORIGINE
actuellement garantie que le vin contenu dans une bouteille
provient de la région indiquée sur l'étiquette. Peut également
être employé plus généralement pour désigner les noms de crus.
CÉPAGE : variété de vigne.
CHAI : local utilisé pour l'élaboration et l'entrepôt des
vins.
CHAPTALISATION : pratique consistant à ajouter du sucre au
moût pour augmenter le degré d'alcool. Elle est aujourd'hui
utilisée mais sévèrement réglementée et contrôlée.
CRU
: ce terme désigne à la fois le terroir où la vigne est
cultivée et dont elle retire des qualités originales et le vin
produit sur ce terroir.
DEFRUTUM : moût réduit par ébullition lente. Les agronomes
anciens indique: diverses proportions : il reste entre un
tiers et deux tiers du volume primitif. Cette opération
concentre fortement le sucre, mais aussi l'acidité.
DOLIA : jarres en terre cuite dans lesquelles le vin antique
fermentait avant qu'on le consomme ou qu'on le mette en
amphore.
FOUDRE : tonneau de grande contenance qui reste à poste fixe.
MILLÉSIME : année de récolte d'un vin. Chaque millésime est
caractérisé par les conditions climatiques qui ont marqué la
vie végétative de la vigne.
MOÛT : jus de raisin séparé, après le foulage, par égouttage
ou par pressurage, avant la fermentation.
OXYDATION : fixation de l'oxygène de l'air sur certaines
molécules du vin.
PLÂTRAGE : action d'ajouter du plâtre au vin. Ce traitement a
un effet clarificateur et augmente l'acidité fixe.
RANCIO : terme employé dans le Sud Ouest de la France pour
désigner l'arôme des vins ayant subi un long vieillissement
oxydatif. Le rancio est caractérisé par des notes de noix
sèche et de torréfaction. ,
SALAGE : action d'ajouter du sel au vin. Ce traitement modifie
le milieu et peut avoir un effet antiseptique.
NOTE
.
Isabelle Cutzach‑Billard, « Étude sur l'arôme des vins doux
naturels au cours de leur élevage et de leur vieillissement »,
thèse de doctorat de l'université de Bordeaux‑II, 1999.
L'HISTOIRE
N° 241 MARS 2000
POUR EN SAVOIR PLUS
SOURCES
Pline l'Ancien, Histoire naturelle, livre XIV, texte établi,
traduit et commenté par J. André, Paris, Les Belles Lettres,
1958.
OUVRAGES GÉNÉRAUX
D.
Gourevitch, « Asclépiade de Bithynie dans Pline, problèmes de
chronologie », Pline Ancien témoin de son temps, Salamanque et
Nantes, 1987.
M.
Gras, « Vin et société à Rome et dans le Latium à l'époque
archaïque », Modes de contacts et processus de transformation
dans les sociétés anciennes, École française de Rome, 1983.
M
S. Kourakou‑Dragona, Un cratère empli d'euphorie, Athènes,
Lucy Braggiotti, 1999.
A
Ithernia, Le Vin de l'Italie romaine. Essai d'histoire
économique d'après les amphores, École française de Rome,
1986.
A.
Tchernia et J.‑E Brun, Le vin romain antique, Grenoble, Glénat,
1999.
Le vin
s'est généralisé à Rome au IIe siècle av J.‑C. Il accompagne
le pain qui devient l'aliment de base du peuple. Mais il
constitue aussi, pour une élite, une boisson de choix,
soigneusement sélectionnée et conservée. Certains crus ont pu
dégager un arôme de noix ou de curry, un goût madérisé proche
des xérès et du vin jaune du jura.

Jean‑Pierre Scène de vendanges
Brun. Glénat, les grappes cueillies sont
foulées au pied IVe siècle, Rome, Santa Costanza ; cl.
Scala).
L'HISTOIRE N° 241 MARS 2000
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