Louis XIV et Marie-Thérèse le grand spectacle
Joël
Cornette Professeur à Paris-VIII-VincennesSaint-Denis
Au
mois d'août 1660, Louis XIV entre à Paris avec sa nouvelle épouse,
Marie-Thérèse, infante d'Espagne. Une splendide cérémonie publique, tout à
la gloire du plus grand roi d'Europe
Le
mariage de Louis XIV et Marie-Thérèse à Saint Jean-de-Luz, le 9 juin 1660
(tapisserie de jean Mozin, château de Versailles; cl. J. SchormanslRMN).
Saint-Jean-de-Luz, 9 août 1660 : avec la plus grande pompe, l'évêque de
Bayonne célèbre un grand événement politique, jusqu'à présent peu étudié par
les historiens, le mariage du jeune Louis XIV et de Marie-Thérèse
d'Autriche, fille de Philippe IV d'Espagne.
Letraité des Pyrénées qui faisait suite à la victoire française
de la Bataille des Dunes en 1658. Le Roussillon, la Cerdagne, l'Artois
et d'autres places en Flandres furent donnés à la France. Ce fut à la
signature de ce traité que fut envisagé le mariage de l'Infante
d'Espagne
Le Roi fut aussi connu pour ses conquêtes et l'une d'elles,
Marie Mancini, une des nièces de
Mazarin, fut certainement celle
qu'il a le plus aimée, au point de vouloir l'épouser contre l'avis de sa
mère, la Reine Anne D'Autriche et de celui du
Cardinal qui, eux, étaient en
pleine tractation pour le marier à l'Infante
d'Espagne. L'échec de ce mariage aurait débouché sur la
reprise de la guerre. La décision fut donc prise le 21 juin 1659 lorsque
Mazarin ordonna à sa nièce de
s'éloigner de la cour. Marie Mancini et Louis se séparèrent mais cela ne
les empêcha pas de s'écrirent, et, en juillet, il décida de la retrouver
à St Jean d'Angély bouleversant ainsi les plans d'Anne d'Autriche et de
Mazarin. Au mois d'août, ils
décidèrent de lui faire comprendre très fermement ses responsabilités et
son devoir envers l'État.
Le mariage fut enfin célébré le 9 juin 1660 à St Jean de Luz
|
A
l'époque, la cérémonie a donné lieu à plus de 150 publications : des
occasionnels, des calendriers, des poèmes, des livrets rapportant le détail
des entrées royales, des récits de fêtes et de feux d'artifice, des mémoires
et des correspondances de contemporains, une pièce de théâtre de Pierre
Corneille (La Conquête de la toison d'or), des essais. des nouvelle, des
gravures. par dizaines, diffusées dans toutes les provinces du royaume...
Bien
plus que d'un simple épisode dans l'histoire du règne, il s'est agi. en
effet, d'une véritable représentation symbolique que les souverains ont
donnée ce jour-là dans la petite ville du Pays basque Tout a débuté, un an
plus tôt, au mois d'août 1659, p des négociations au milieu de la Bidassoa,
sur l'île aux Faisans sans, qui marquait la frontière entre la France et
l'Espagne en guerre depuis 1635.
Il fallu faire la paix, les deux Monarchies , épuisées
financièrement, s'entendaient sur ce point. Mais fallait-il être accorder
au Prince de Condé , passé a l’ennemie en 1652
Quels
territoires concéderait-on de part et d'autre ? Enfin, si le principe d'un
mariage de Louis XIV avec l'infante était acquis (il était de tradition que
chaque traité achevant une guerre soit marqué par un mariage associant les
deux puissances réconciliées). Quelles en seraient les modalités ?
Finalement, à l'issue de 24 rencontres au climat souvent tendu, le traité
des Pyrénées est signé le 7 novembre 1659. Dans ce très long texte en 124
articles, il était décidé notamment que le roi se marierait « moyennant le
paiement effectif »d'une dot de 500 000 écus or. Quant à l'infante, elle
devait renoncer à tous ses droits à la succession de son père. Marie-Thérèse
d'Autriche a laissé peu de traces dans l'histoire : c'était une femme
effacée, dévote et discrète. « Voilà le premier chagrin qu'elle m'ait
donné», dira simplement le Roi-Soleil le jour de sa mort, le 30 juillet
1683. En 1660, elle arrive en France pour témoigner de la soumission de son
pays. Car la France est victorieuse et la nouvelle reine est représentée,
notamment sur les gravures qui accompagnent les calendriers, abandonnant peu
à peu ses comportements et ses vêtements espagnols pour se transformer en
une reine française - un almanach intitulé La Flandre, dépouillée des habits
d Espagne et revêtue à la française révèle même une souveraine à moitié
dénudée recouverte d'un manteau fleurdelisé...
NAISSANCE DE LA BARRIÈRE DU TRÔNE
C'est
une triple transformation qui s'opère ainsi : de l'Espagne à la France, de
l'infante à la reine, d'un corps à un symbole, le tout au service de la
gloire de Louis XIV, son royal époux, et de la France, première puissance
européenne, qui vient de gagner une suprématie incontestée sur l'Espagne.
Après le mariage, la cour revint lentement à Paris, en passant par Bordeaux,
Blaye, Saint-Jean-d’Angély, Poitiers, Richelieu, Amboise, Chambord. Le tout
s'acheva par une fastueuse « entrée » du roi et de la reine dans la capitale
le 26 août 1660 - la dernière du genre puisque le renforcement de la
souveraineté, la multiplication des officiers et des commissaires rendront
bientôt inutiles les déplacements incessants du pouvoir royal établi à
Versailles en 1682, le Roi-Soleil se trouvera désormais en toute gloire au
centre de son État et il appartiendra aux courtisans et même aux sujets de
tournoyer autour de Sa Majesté, mais non l'inverse.
Ce
jour-là cependant, à Paris, aux fenêtres des maisons parées pour l'occasion,
pendaient des festons de fleurs et nombre de façades avaient été décorées de
tapisseries. Le cortège royal venait de Vincennes. On avait dressé un arc de
triomphe et un trône à l'entrée du faubourg SaintAntoine (d'où son nom de«
barrière du Trône») où le roi et la reine reçurent, pendant cinq heures, les
hommages du Parlement, du clergé, de l'Université, de la Cour des aides
(juges en dernier ressort des affaires financières), de la Chambre des
comptes (officiers chargés de surveiller la gestion des officiers), du corps
de la ville (échevins de la capitale)...
Ensuite, le long cortège s'ébranla, empruntant la rue Saint-Antoine, le
pont Notre-Dame, la Cité, le Pont Neuf, avant de s'arrêter au Louvre. Toute
la hiérarchie des ordres (clergé, noblesse, tiers état), des métiers, des
pouvoirs urbains était représentée, en une surenchère de magnificence.
Parmi
les spectateurs, Mme Scarron (future Mme de Maintenon et deuxième épouse de
Louis XIV), qui se trouvait alors à l'hôtel de Beauvais ou d'Aumont, situé
rue Saint-Antoine, et écrivit : «Je ne crois pas qu'il se puisse rien
imaginer de si beau. Je fus toute yeux pendant dix ou douze heures de suite.
»
Défilèrent d'abord les quatre ordres mendiants (moines cordeliers,
jacobins, augustins, carmes), précédés de leurs croix et de leurs porteurs
de cierges. Le clergé séculier les suivait, avec ses croix et ses bannière,
les prêtres en surplis et bonnets carrés, les curés l'étole au cou, tous
chantant les litanies des saints.
Ensuite
l'Université (robes noires et écarlates), les corps de la ville (les
conseillers, les échevins, les maîtres et les gardes des corporations...),
les chevaliers du guet (ces gardes chargés de veiller pendant la nuit à la
sureté de Paris), le tribunal du Châtelet, les cours souveraines (les Aides,
les Comptes, le Parlement), multitude de robes rouges et noires, de
chaperons fourrés, montée sur des chevaux aux housses de drap sombre.
Puis le
cardinal Mazarin, savourant le spectacle (la paix des Pyrénées était son
oeuvre), précédé des trompettes et des gardes suisses, suivi de 72 mulets en
file, couverts de velours rouges à broderies d'or, et des 100 gardes de Son
Éminence, en casaques rouges galonnés d'or et d'argent. « sa maison fut plus
d'une heure à passer», rapporte Mme Scarron.
Il
était suivi du chancelier Pierre Séguier, en soutane de drap d'or, le
chapeau constellé de broderies d'or, flanqué de gardes et de pages. Puis les
mousquetaires (habits bleus blasonnés de la croix d'argent), les
chevau-légers (justaucorps écarlates), les 100 gentilshommes à
bec-de-corbin2, les maîtres d'hôtel du roi...
Enfin,
Louis XIV, précédé des Grands, des grands officiers de la couronne et des
maréchaux de France, monté sur un cheval bai brun, recouvert d'une housse
en broderie d'argent escorté par son grand chambellan, son grand écuyer,
son premier gentilhomme et son capitaine des gardes, lui même vêtu d'un
habit de broderie d'argent, mêlé de perles et garni de rubans incarnat et
argent, avec un superbe bouquet de plumes incarnat et blanc, attaché d'une
enseigne de diamants. Puis d'autres grands et le prince de Condé, entre
le duc d'Enghien (son petit fils) et le prince de Conti (son frère).
Enfin,
1a reine, entourée d'un train de gentilshommes, officiers, laquais,
carrosses, telle la dépouille triomphale des victoires du roi, assise sous
un pavillon à colonnettes et broderies dargent, dans un «char» à la romaine,
tout de «vermeil doré », tiré de 6 chevaux aux housses d'orfèvreries brodées
de fleurs de lis d'or et de pierres précieuses.
Tout
ici, on l'a compris, a été conçu pour la plus grande gloire de Louis XIV.
Plusieurs arcs avaient d'ailleurs été édifiés le long du parcours, l'un,
au Marché Neuf, portant l'inscription « Lodovico Pacifzco » ; un autre étant
dédié à «Ludovico Pacatori Terrarum » (« à Louis qui a donné la paix à la
Terre ») : on y voyait, en particulier, Hercule recevant une branche
d'olivier.
Cette
spectaculaire entrée royale fut la dernière dans la longue histoire des
entrées qui ponctuent les relations souvent conflictuelles entre le pouvoir
central et les villes du royaume : Louis XIV demeurera peu à Paris avant de
se fixer définitivement à Versailles.
l
L'entrée de 7660 fut aussi l'ultime épisode de la victoire de la monarchie
contre les frondeurs. En effet, le jeune Louis XIV a gardé un souvenir amer
de sa fuite parisienne un jour de janvier 1649 quand Mazarin et Anne
d'Autriche décidèrent de soustraire le roi à la pression des Parisiens.
Ainsi
au-delà de la célébration de la paix, au-delà de l'alliance entre les deux
plus grandes puissances européennes, le mariage de l'infante d'Espagne,
couronné par la grandiose entrée parisienne du 26 août 1660, fut l'occasion
de l'affirmation du pouvoir d'un roi absolu. Celui-là même qui, le 10 mars
1661, le lendemain de la mort de Mazarin, annoncera aux membres de son
conseil son désir de gouverner désormais sans principal ministre.
Jean
Cornette Professeur a Paris Vincennes Saint Denis Magazine 233 /9/ 1999
Images du site
http://ancre.chez-alice.fr/louis14/louis14.htm
Plus tard
l'Europe
va traverser une période chaotique de guerres de successions entre 1726
et 1763. Les alliances se font et se défont, la France s'allie à
l'Espagne contre une coalition Autrichienne, Russe et Polonaise, puis
c'est l'Angleterre qui s'allie à la Hongrie contre la France, enfin, les
français s'allient aux... Autrichiens contre l'Angleterre et la Prusse !
Cette série noire s'arrêtera en 1763. |
|